Lundi 20 décembre 2010, l'avocate de Jafar Panahi annonçait la condamnation du cinéaste à 6 ans de prison et à 20 ans d'interdiction de faire des films, de quitter le pays et de donner des interviews à des médias locaux ou étrangers.
Nous vous invitons à signer la pétition.
Jafar Panahi avait été arrêté le 1er mars.
Dans le dernier numéro de 0 de conduite, Jean Rabinovici consacrait son article "Cinéma et liberté d'expression" à cette arrestation.
CINÉMA ET LIBERTÉ D'EXPRESSION
Ces premiers mois de 2010 n’ont guère été favorables aux cinéastes d’un certain nombre de pays. En particulier en Afghanistan avec la mort d’un documentariste français, Séverin Blanchet et en Iran avec l’arrestation de l’un des plus grands cinéastes iraniens, Jafar Panahi.
Le vendredi 26 février, c’est celui de la triste nouvelle de la mort d’un documentariste français, Séverin Blanchet, à la suite d’un attentat suicide survenu en plein centre de la capitale afghane.
Réalisateur d’une dizaine de films documentaires, Séverin Blanchet, 66 ans, était à l’origine, avec le cinéaste documentariste et ethnologue français Jean Rouch, de la création en 1969 du Laboratoire de l’Université de Paris X et en 1980 des Ateliers Varan. Il avait contribué à la création de nombreux ateliers dans différents pays du monde et plus particulièrement en Papouasie. “Il travaillait depuis 2006 avec de jeunes réalisateurs afghans. En 2008, ils avaient réalisé Les Enfants de Kaboul, une série de documentaires, qui fut présentée au Festival de Cannes en 2009 “, a déclaré Hélène Vietti, proche collaboratrice de Séverin Blanchet au sein de l’association des Ateliers Varan. En Afghanistan, son atelier de formation était le fruit d’un partenariat entre les Ateliers Varan, l’ambassade de France, la faculté des Beaux-Arts de Kaboul et le Goethe Institut.
Quelques semaines plus tard c’est de Téhéran que nous parvenait l’information de l’arrestation de Jafar Panahi, de son épouse et de sa fille. Agé de 49 ans, il est l’un des cinéastes les plus talentueux et les plus engagés du cinéma iranien. Avec son premier film Le Ballon blanc, il obtient la Caméra d’or à Cannes 1995 et attire la curiosité des critiques et l’admiration des cinéphiles dans différents pays. C’est avec son troisième film Le Cercle, Lion d’or à Venise en 2000, que Jafar Panahi commence à avoir des problèmes avec le pouvoir iranien. Avant le tournage, il avait pressenti qu’il ne pourrait pas obtenir les autorisations pour ce film, sur un sujet brûlant comme la prostitution. Il leur avait alors présenté un faux scénario, et puis, avait tourné un film non conforme qui n’a, d’ailleurs, jamais obtenu le visa de sortie dans son pays.
Pour Sang et or, son quatrième film, Prix spécial du jury d’Un Certain regard à Cannes 2003, le réalisateur emploie la même méthode, avec les mêmes conséquences, idem pour Hors-jeu, Ours d’argent Berlin 2006… Toujours très mal perçu par les autorités, il n’arrive plus à faire de films, et se met au montage des films de ses amis comme Mohammad Rasoulof (arrêté et emprisonné avec lui, puis relâché grâce à une importante caution). Il espérait qu’avec le changement de gouvernement (élections de juin 2009) et l’arrivée des réformateurs au pouvoir, un espace de liberté s’ouvre, et lui permette de réaliser son film suivant. Mais le rêve tourna au cauchemar, la situation sociale de l’Iran entra dans une période sombre, la protestation populaire grandit, et les artistes se sont alors solidarisés, et avec eux, Jafar Panahi. Lors de ses voyages dans les festivals internationaux, il apporta ouvertement son soutien au candidat réformateur Hossein Moussavi, arborant une écharpe verte, symbole de la résistance contre Mahmoud Ahmadinejad.
Lors d’un retour au pays, les autorités lui ont confisqué son passeport. Bien évidemment, on cherchait à le coincer depuis longtemps. C’est le lundi 1er mars 2009 que le service de la sécurité, en civil, a envahi son appartement, l’emmenant avec sa femme et sa fille ainsi que les invités présents chez lui ce jour-là vers une destination inconnue. Ces hommes, a précisé son fils Panah Panahi, ont perquisitionné au domicile du cinéaste, où ils ont saisi des ordinateurs et des affaires personnelles. Son épouse et sa fille sont ensuite relâchées ! Sa femme, autorisée à rendre visite à son mari dans la terrible prison d’Evin de Téhéran, en est ensuite empêchée. Jafar est alors mis dans une cellule d’isolement, car on craint qu’il ne tourne dans la prison avec du matériel introduit clandestinement. Aucun responsable du régime ne répond aux demandes formulées par les cinéastes iraniens, ou celles de sa famille !
Nombre de personnalités du cinéma du monde entier lui manifestent leur solidarité. Lors de la conférence de presse du festival de Cannes, le président Gilles Jacob annonce que Jafar Panahi sera l’un des jurés du festival 2010. Lors de la cérémonie d’ouverture, une pancarte à son nom est posée sur une chaise vide, au premier rang, sur la scène de l’auditorium Lumière.
On parle alors de procès, car dès la mi-avril le ministère iranien de la culture a affirmé que cette arrestation était liée au fait que le metteur en scène “préparait un film contre le régime portant sur les évènements post-électoraux”. Ce que Jafar Panahi a toujours démenti. Dans une lettre parvenue à Paris le 18 mai, le réalisateur révèle les mauvais traitements subis dans la prison d’Evin où il est emprisonné depuis début mars ; “Samedi 15 mai 2010, les gardes de la prison sont entrés subitement dans notre cellule n°56. Ils nous ont emmenés, moi et mes camarades de cellules, nous ont dénudés et gardés dans le froid pendant une heure et demie”. Il demande aussi : “La possibilité de contacter et de voir ma famille, et l’assurance totale de leur sécurité, […] le droit d’avoir et de communiquer avec un avocat, après soixante-dix-sept jours d’emprisonnement, […] une liberté sans condition jusqu’au jour de mon jugement et du verdict final.“ “Enfin”, poursuit-il, “je jure sur ma croyance, le cinéma : je ne cesserai ma grève qu’une fois mes volontés assouvies. Ma dernière volonté est que ma dépouille soit rendue à ma famille pour qu’elle puisse m’enterrer où elle le souhaite.”. En effet, Jafar Panahi avait entamé, une dizaine de jours auparavant, une grève de la faim pour protester contre sa détention.
Une semaine plus tard, le mardi 25 mai (peu après la fin du Festival de Cannes), Jafar Panahi était libéré sous caution. Comme l’a déclaré son épouse, Tahereh Saeedi, confirmant un communiqué du bureau du procureur de Téhéran, “Oui, il a été libéré. Il va bien”. Tout en précisant cependant : “Nous l’emmenons chez le docteur”.
Le communiqué du parquet de Téhéran a précisé qu’ “après la fin de l’enquête, le dossier de l’accusé avec les charges pesant contre lui a été transmis au tribunal révolutionnaire”. Aucune précision n’a été donnée sur les charges retenues contre Jafar Panahi.
Tout cela fait que la mobilisation importante et internationale, qui s’est manifestée contre les graves agissements du pouvoir iranien vis-à-vis du cinéaste, doit être maintenue et rester extrêmement attentive à la suite des événements.
Jean Rabinovici
0 de conduite n°75
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